Les chercheurs à la rescousse du taxi

Y a-t-il trop de taxis à Montréal ? Dans quels secteurs sont-ils plus sollicités ? À quel moment de la journée ? Aucune idée. Depuis des décennies, cette industrie fonctionne à tâtons, sans avoir de statistiques sur son offre ni sa demande. Un projet de recherche est en cours et, pour plusieurs, il signe le début d’une longue course vers la modernisation.
Le Bureau du taxi de Montréal a mandaté l’automne dernier l’École polytechnique pour dresser un portrait détaillé de l’industrie du taxi. Mais ce n’est que récemment que le projet a démarré. En effet, il a d’abord fallu convaincre près de 20 compagnies de taxi de partager avec les chercheurs leurs données GPS et transactionnelles. « Il était temps qu’on commence ! », lance Dominique Roy, président de Taxi Diamond. Voilà plus de 15 ans que l’homme d’affaires insiste auprès de ses collègues pour mener une telle étude. À l’heure où des applications mobiles comme UberX et des sites Web comme Kijiji permettent à n’importe qui se transformer en chauffeur de taxi (sans avoir à payer un permis de 200 000 $), l’industrie doit se prêter à une sérieuse introspection et rendre son service plus concurrentiel que jamais, estime M. Roy.

Il est à son avis incontournable de documenter les besoins de la clientèle sur l’ensemble du territoire pour mieux prédire la demande et répartir logiquement les véhicules.« Évidemment, ma compagnie et plusieurs autres, on a effectué des études à l’interne. On connaît une partie du portrait, mais personne n’a une vision d’ensemble », dit-il, précisant que les quelque 1100 véhicules de sa flotte opèrent surtout dans le centre et l’ouest de l’île.

Aucune planification

Au total, près de 4500 taxis sillonnent les rues de la métropole. Y a-t-il trop de véhicules pour la demande, ou pas assez ? C’est une des questions que tentera d’élucider l’équipe de Polytechnique dirigée par Catherine Morency, qui dirige notamment la chaire de recherche Mobilité. « J’ai trouvé ça bizarre de constater qu’il n’existe aucune planification de l’offre, dit-elle, mais avec notre travail, tout ça pourra changer à terme. »

Ayant accès depuis un an aux données de Taxi Diamond, la chercheuse a pu commencer une « modélisation » qui permettra, par exemple, de déterminer la durée moyenne des courses de taxi, le temps moyen d’attente d’un client, les heures où la demande est en hausse, les périodes de l’année les plus achalandées, etc. En parallèle, l’équipe de recherche collecte aussi des données sur d’autres modes de transport, comme les voitures en libre-service (VLS) et les vélos Bixi. « Il y a beaucoup de spéculation, on se demande si ces modes concurrencent l’industrie du taxi, et c’est ce que nous allons évaluer », explique Mme Morency.

Le projet du dragon avance

L’investisseur et vedette de l’émission Dans l’oeil du dragon Alexandre Taillefer a aussi mandaté des chercheurs montréalais. Il souhaite que ces derniers réalisent des algorithmes pour maximiser chacun des déplacements de sa future flotte de taxis électriques. Depuis plus d’un an, le dragon et son acolyte Patrick Gagné multiplient les sorties publiques pour annoncer leur intention de regrouper les taxis montréalais sous une seule compagnie, Taxelco. Les véhicules, en plus d’être électriques, seraient de même couleur et liés à une application mobile de paiement et de géolocalisation.

« C’est impossible de moderniser une industrie sans avoir des données fiables et des objectifs d’optimisation des services. Tous ces projets de recherche vont nous aider à changer complètement l’expérience client », déclare Patrick Gagné, en entrevue auDevoir. Il explique que les chercheurs, sous la direction de Jean-François Cordeau de HEC Montréal, devront recenser les secteurs-clés pour l’instauration de bornes électriques. Ils établiront ensuite un procédé logistique pour s’assurer que les taxis ne se retrouvent jamais avec une batterie déchargée. Dès novembre, les 50 premiers véhicules de Taxelco feront leur arrivée dans les rues de la métropole, puis la flotte grandira rapidement, assure M. Gagné.

Repenser la répartition

Les résultats finaux des projets de recherche ne seront pas connus avant plusieurs années, souligne Alain Rochon, directeur par intérim du Bureau du taxi de Montréal. En attendant, d’autres actions devront être entreprises pour accélérer le renouvellement de l’industrie. Il rappelle que la politique du taxi, dévoilée l’an dernier par la Ville de Montréal, misait sur une série de mesures : de la vérification des antécédents judiciaires des chauffeurs à l’instauration de caméras de surveillance dans les taxis, en passant par l’obligation de posséder une machine pour le paiement par cartes de crédit ou de débit. Il ajoute qu’à son avis les compagnies de taxi devraient s’entendre pour avoir un système de répartition centralisé.

À l’heure actuelle, quand elles reçoivent un appel, les compagnies envoient simplement le taxi de sa flotte qui est le plus près… mais il est parfois à 10 km ! En s’unissant derrière une seule application, l’industrie pourrait être plus performante, estime celui qui sera officiellement remplacé ce lundi par la nouvelle patronne du Bureau du taxi, Linda Marchand.

L’arrivée de Mme Marchand permettra d’accélérer la mise en oeuvre du plan d’action de la Ville de Montréal, assure le responsable des Transports au comité exécutif, Aref Salem, qui admet que « les choses n’avancent pas aussi vite qu’il aurait voulu ». À l’instar de M. Rochon, il estime qu’il ne faut pas attendre les résultats du projet de recherche de Polytechnique pour passer à l’action. En plus d’orchestrer un changement réglementaire qui obligera tous les véhicules à se doter d’une machine pour le paiement électronique et d’une caméra de surveillance, M. Salem souhaite remodeler la formation obligatoire que reçoivent les chauffeurs. « Je veux qu’on les forme à être des réels ambassadeurs de la Ville, à avoir de belles voitures propres, un bel uniforme de travail, une attitude courtoise », dit-il. L’élu ajoute que les politiques et les projets de recherche aideront à moderniser l’industrie, mais c’est aussi la responsabilité des chauffeurs d’offrir un « service impeccable et compétitif ».

Source : Le Devoir

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