Pourquoi Uber n’a pas fini de faire peur aux taxis

La start-up américaine de VTC s’apprête à lever 1 milliard de dollars. Les taxis traditionnels sont vent debout contre ce concurrent. Et pas seulement à Paris.

Voilà une nouvelle qui ne va pas ravir les taxis parisiens : Uber, la société américaine de VTC, les véhicules de tourisme avec chauffeur contre lesquels ils sont en guerre depuis un an, est en discussion pour lever près de 1 milliard de dollars. Cette augmentation de capital valoriserait l’entreprise à plus de 7 milliards d’euros.

À ce niveau, elle rejoint le club des « start-up milliardaires » aux côtés d’Airbnb, spécialiste de la location d’appartements, Twitter ou Dropbox, le roi du stockage en ligne. « Avec une telle somme, Uber aura vraiment les moyens d’étendre ses opérations et de lancer de nouvelles activités », observe un acteur du marché, qui prédit de nouvelles tensions avec les opérateurs traditionnels.

Ces derniers accusent en effet les sociétés comme Uber, autorisées en France depuis 2010, de concurrence déloyale, jugeant qu’elles ne sont pas soumises aux mêmes contraintes financières et réglementaires. La grogne dépasse désormais l’Hexagone : le 11 juin prochain, une manifestation « européenne » des taxis est organisée à l’appel des Black Cabs, à Londres. Dans la ligne de mire : Uber.

Il faut dire que la start-up se développe à marche forcée depuis sa création à San Francisco en 2009 par Travis Kalanick et Garrett Camp. C’est lors d’un séjour à Paris que ces deux entrepreneurs de la Silicon Valley, exaspérés de ne jamais trouver de taxi, ont eu l’idée de lancer leur service en s’appuyant sur les technologies de géolocalisation.

Un modèle amplement dupliqué

Fort de 900 employés dans le monde, Uber, qui ne communique pas ses résultats, réaliserait près de 760 millions d’euros de chiffre d’affaires , selon le blog américain Valleywag. L’année dernière, les 307 millions de dollars levés auprès de Google Ventures (7% du capital) et d’investisseurs privés, comme Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, lui ont permis de doubler son rayon d’action en six mois. Désormais, l’offre d’Uber est disponible dans une centaine de villes et trente pays. De Cali à Calcutta en passant par Dubai, Berlin, Londres ou Paris, son plus gros marché avec, déjà, 700 chauffeurs environ.

Ambitieux, les fondateurs d’Uber comptent dupliquer leur modèle à d’autres activités. Comme UberRush, une société de coursiers à vélo lancée cette année à New York, et surtout UberPop. Ce nouveau service de covoiturage, né en février, a provoqué une levée de boucliers en Europe, surtout à Paris.

Pas de flotte en propre

Qu’importe. Les dirigeants d’Uber sont bien décidés à poursuivre leur route en « repoussant toujours plus loin les frontières des modes de déplacement urbains ». Leur concept ? « L’optimisation de l’offre et de la demande, explique Pierre-Dimitri Gore-Coty, responsable d’Uber pour l’Europe. Et ce grâce à notre plateforme qui permet de mettre en relation des chauffeurs et des clients, ces derniers ayant la possibilité de savoir où se trouve la voiture la plus proche sur leur smartphone. » A la différence des autres sociétés de VTC, comme LeCab ou Voitures Jaunes (qui a fait faillite début 2014), Uber n’a aucun véhicule en propre.

Moins lourd en frais fixes, son système consiste à puiser dans un vivier de chauffeurs qui travaillent à leur compte ou comme salariés de petites entreprises de transport avec lesquelles la société passe des accords commerciaux. Seules contraintes : leurs voitures doivent être des berlines de standing pour assurer un service haut de gamme. Les chauffeurs portent le costume-cravate et doivent être irréprochables. C’est ce qui justifie le tarif de la course, plus élevé en moyenne que celui d’un simple taxi.

« C’est surtout la loi de la jungle, s’insurge Yann Ricordel, le directeur général des Taxis Bleus. Comment voulez-vous que leurs chauffeurs soient fiables alors qu’ils sont sélectionnés par vidéo sur Internet en une heure et trente minutes ? » Livreurs, ambulanciers, éboueurs, ils ne sont souvent pas issus du métier de taxi. Mais le meilleur test de satisfaction, rétorque la direction d’Uber, c’est celui des clients qui notent leur prestation à la fin de la course. « Au bout de trois semaines, on voit si le gars tient la route ou pas », assure ainsi Pierre-Dimitri Gore-Coty.

Tarifs calculés en temps réel

Les conducteurs qui « chauffent » pour Uber, selon l’expression du responsable français, versent 20% de leur chiffre d’affaires à la société. Celle-ci fixe les tarifs grâce à des algorithmes qui calculent en temps réel les prix en fonction de la demande. A la manière du yield management dans l’aérien. Aux heures de pointe, ils peuvent donc doubler, voire tripler. « C’est le seul moyen d’inciter les chauffeurs à travailler un 31 décembre ou tard le samedi soir », justifie la direction. Le client est prévenu par des messages sur l’application. Il peut décider d’attendre que le prix baisse, en le spécifiant sur son téléphone.

Cette méthode suscite beaucoup de controverses, notamment de la part des clients, qui digèrent mal la flambée des prix. Aux Etats-Unis, l’écrivain Salman Rushdie a enflammé les réseaux sociaux en traitant Uber d’ »arnaqueur » sur Twitter, furieux de voir que les tarifs augmentaient « aussi durant les heures creuses ! »

Commercialement très agressifs, les employés d’Uber dépassent parfois les bornes. A New York, Travis Kalanick a dû présenter ses excuses à son concurrent Gett. Ses troupes avaient pris la fâcheuse habitude de se faire passer pour des clients et de commander des centaines de courses pour les annuler à la dernière minute…

Mais c’est en Europe que la fronde anti-Uber est la plus vive. Certes, l’entreprise américaine a échappé au délai d’attente obligatoire de quinze minutes entre la réservation d’une voiture et la prise en charge, que le gouvernement français voulait leur imposer pour calmer la colère des taxis. Le décret a été suspendu en février par le Conseil d’Etat. Mais Uber n’est pas tiré d’affaire. Fin avril, le rapport du député Thomas Thévenoud, chargé de trouver des solutions pour faire cohabiter les taxis et les VTC, a émis plusieurs propositions.

Comme prolonger le gel de l’attribution des nouvelles immatriculations de VTC, tant qu’un modus operandi ne sera pas trouvé entre les acteurs du secteur. Ou soumettre les chauffeurs à une formation et leurs véhicules à un contrôle technique tous les six mois. L’élu PS veut aussi interdire aux VTC la « maraude électronique », soit la possibilité de visualiser les véhicules sur une carte numérique. Si cette dernière proposition est retenue, Uber n’aura plus qu’à changer de business model.

Source : Challenges

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